La grand-messe absurde des Denis
Arts et culture - Entrevue

Un texte, une entrevue et une réalisation vidéo de Nathan Murray. Photos et images: Patrice Gagnon.

Voilà deux énergumènes aux cheveux longs, bizarrement attifés, l'un doté d'une pilosité faciale impressionnante, l'autre d'une dentition admirable. Le Denis barbu et le Denis à palettes, on les appelle. On a l'habitude de les voir tout de brun vêtus mais, de passage à la Cité d'art, ils innovent: en cette chaude journée d'été (car oui, il y en a eu une, peut-être même deux, hein, alors comptons-nous chanceux!) le barbu a osé la chemise à motifs. Ils sont debout sur la vieille scène en bois du sous-sol d'une ancienne église reconvertie en école de danse: avant même qu'ils aient ouvert la bouche, on est déjà un peu dans leur monde. Dans ce lieu autrefois saint, ils sacrent, jurent et blasphèment, l'un avec bonhommie, l'autre avec toute la colère - et la barbe - d'un prophète de l'Ancien Testament. Ils enchaînent les énormités et les raisonnements abscons avec une aisance et un naturel absolument phénoménaux: même les théologiens du XIIe siècle ne poussaient pas aussi loin l'absurde. Souvent, ils entonnent une ritournelle endiablée, aux paroles énigmatiques, qu'on imaginerait bien psalmodiée par quelques sorcières un peu timbrées une nuit de sabbat. Bref: ils sont fous. Complètement fous.

Face à eux, serrés sur les bancs d'église, soixante-dix fidèles à la foi brûlante. La petite salle est comble, l'assistance fébrile: les deux prêtres, sur scène, prêchent à des convertis, même si on devine ici un curieux, là un néophyte, attirés par la réputation sulfureuse mais enviable du duo de moines à la soutane brune. Saint Paul ne répandait pas la bonne nouvelle dans une ambiance plus électrique. La grand-messe des Denis n'a rien d'une messe basse. On applaudit, on rit, on chahute un peu, on crie son étonnement, on rit encore, on s'interroge... Naaaaan, ils ont pas osé? Ah ben si, Germaine, ils ont osé! Si certains esprits forts résistent - ils disent quoi, papa, les deux drôles de monsieurs sur scène? - ou semblent s'enfoncer peu à peu jusqu'au septième cercle de l'enfer, la grande majorité des spectateurs est plutôt projetée au septième ciel. L'évangile professé par les deux hurluberlus n'a bien souvent ni queue ni tête. N'empêche: on communie allègrement avec eux. L'enthousiasme du public est vif, tapageur. S'il y avait des catacombes, les morts se relèveraient à coup sûr pour joindre leur délire à celui des vivants et de leurs deux gourous du non-sens et de la douce folie.

Mais trêve de plaisanteries: l'absurde, c'est du sérieux. Les Denis eux-mêmes l'affirment: pour dire n'importe quoi, il faut travailler fort et réfléchir longtemps - pensez à nos politiciens... Peu avant de monter sur scène, les deux compagnons inséparables nous ont accordé une entrevue. Au menu: un aperçu de leur nouveau spectacle, un tour d'horizon de leurs inspirations, quelques éclairs de folie... et, bien entendu, une plongée dans leur univers démentiel!